Places Offshore. La délinquance financière.

C'est en présence de plus de 380 adhérents de l'UTL PR, dont soixante-dix avaient dû être accueillis devant des écrans installés à l'extérieur de l'auditorium de l'Hôtel de Rennes Métropole, que le Président Albert Foulon et la vice-présidente Brigitte Lauer ont ce lundi 10 février 2020 accueilli et présenté au public le juge Renaud van Ruymbeke dont ils ont rappelé le sens aigu de la justice et de l'égalité, fil conducteur de toute une carrière consacrée au service de l'État, pour une conférence sur les places Offshore et la délinquance financière.


En guise de propos liminaire, l'intervenant rappelle que la corruption est souvent révélée au grand public à l'occasion du départ, de la chute, ou de la disparition d'un dictateur, une des dernières en date étant celle qui concerne l'Algérie et l'oligarchie qui la gouverne à présent depuis des décennies.
Il fait également observer que l'argent détourné ne se situe jamais dans le pays d'origine, en l'occurrence en Algérie, et que ce ne sont pas des dinars qui ont été détournés. En face des corrompus, il rappelle également qu'il y a toujours des corrupteurs, et que le plus souvent il s'agit d'entreprises agissant dans le cadre de passations de marché.
Il fait savoir enfin que la corruption internationale n'était pas du tout pénalisée en France avant l'année 2 000, mais que depuis ce n'est plus le cas. Ce changement dans notre législation est dû à la ratification d'une Convention de l'OCDE adoptée en 1997.
Nonobstant cet engagement international, il existe des freins. C'est ainsi que les commissions versées dans le cadre de marchés internationaux, notamment lorsqu'il s'agit de l'approvisionnement en pétrole ou de ventes d'armes, sont souvent protégées par le «secret défense». Lorsqu'il veut saisir un document classifié, le juge doit présenter une demande de déclassification au Ministre concerné qui statue après avoir sollicité l'avis d'une commission consultative. Or bien souvent, les juges se voient opposer un refus, sans même en connaître les motifs. C'est ainsi que sur l'affaire des frégates de Taïwan il a été impossible d'identifier les destinataires des commissions. Le résultat en a été un non-lieu, et une facture de plus de 500 millions de dollars fut payée en définitive par le contribuable français, la France s'étant retrouvée dans l'obligation de rembourser l'état Taïwanais. De là à penser que le «secret défense» protège la corruption, il n'y a qu'un pas, que d'aucuns pourraient être tentés de franchir.
Il cite le cas du dictateur nigérian Abacha de la fin des années 90 qui après son décès subit aurait laissé entre 1 et 3 milliards de dollars dans des comptes offshore. Les investigations menées en Suisse ont permis d'identifier à peine 660 millions sur le total des sommes dues.
L'immunité des diplomates et des chefs d'État constitue également un obstacle à la révélation de la vérité dans les enquêtes financières, comme on l'a vu dans l'affaire des biens mal acquis.
Néanmoins, en Algérie par exemple, 12 anciens ministres seraient actuellement en prison, même s'ils ne le sont pas tous.
Renaud van Ruymbeke fait également l'amer constat que plus un pays a de ressources naturelles, plus il y a de guerres d'appropriation, et plus il y a de guerres, plus il y a de misère.
Du détournement de fonds, il passe à la fraude fiscale qu'il distingue de l'évasion fiscale, cette dernière n'étant pas illégale, même si elle est moralement indéfendable.
Les sociétés offshore sont donc des sociétés qui disposent de comptes dans des paradis fiscaux, permettant ainsi l'évasion fiscale, sous forme d'acquisition d'équipements de luxe comme des yachts ou des avions privés. Mais ces paradis fiscaux couvrent également des transactions illégales voire délictuelles ou criminelles comme le trafic de drogue, la corruption, le trafic relatif à l'immigration illégale…
A cet instant, le conférencier ne manque pas de citer les paradis fiscaux traditionnels avec secret bancaire de l'Europe, tels le Luxembourg, la Suisse, Andorre, le Lichtenstein, …
Il y reconnaît néanmoins des progrès importants avec notamment le recul du secret bancaire, tout en faisant remarquer que les fraudeurs n'ont pas manqué depuis de fuir vers d'autres paradis, comme les Îles Vierges, les Îles Caïmans, Hong-Kong, Singapour etc… Il rappelle au passage que la fraude à la taxe carbone a rapporté 1,4 milliards aux fraudeurs en France, en passant par des comptes bancaires ouverts dans des pays où le secret bancaire est bien gardé tels que Hong Kong pour finir pour partie en Israël.
Depuis, d'autres paradis bancaires et judiciaires ont pris le relais comme Dubaï ou le Liban.
Il détaille ensuite le processus d'ouverture par des commanditaires de sociétés offshore avec comptes bancaires dans les paradis déjà cités, l'intervention d'hommes de paille, les usurpations d'identité consenties moyennant finance, le passage par des sociétés fiduciaires peu scrupuleuses situées dans des États à la justice peu regardante, qui vont créer des entreprises domiciliées dans des paradis fiscaux, puis provoquer l'ouverture de comptes bancaires dans d'autres pays pratiquant le secret bancaire, et la remise in fine à des intermédiaires de tokens (boîtiers émettant des jetons d'authentification forte) pour revenir in fine au commanditaire. Ce dernier va alors utiliser les sociétés offshore ainsi créées pour faire circuler en toute impunité le produit de ses diverses activités frauduleuses et procéder en toute impunité à des investissements dans les économies occidentales.
Les échanges avec le public qui s'en suivent vont permettre de souligner l'insuffisance des moyens d'enquêtes au niveau européen, les justices étant nationales. S'y ajoutaient, à une certaine époque, des difficultés pour obtenir les compléments d'enquête nécessaires (supplétifs) auprès de procureurs de la République nommés par le pouvoir exécutif.
Par ailleurs, s'il confirme qu'il n'y a pas de fuites au niveau des commissions rogatoires (enquêtes proprement dites), le conférencier rappelle que dans la phase judiciaire des affaires, la «fuite» est tout à fait possible. Le dossier est en effet alors consultable par toutes les parties concernées, leurs avocats et le parquet sous la forme de remise de CD. D'aucuns regrettent le peu de crédibilité des engagements des institutions politiques et bancaires dans la lutte contre la délinquance financière.
Enfin, à la question de savoir s'il lui est arrivé d'être personnellement menacé, il répond qu'il n'a pratiquement jamais fait l'objet de protection policière et ne manque pas de revendiquer une fois encore son indépendance à l'égard des partis politiques et des syndicats.
Plus personne ne demandant la parole, le Président Albert Foulon et la Vice-présidente Brigitte Lauer remercient encore une fois l'intervenant avant que de mettre fin à la séance.