Durant quatre siècles, l’insertion de l’Afrique dans le grand commerce atlantique a transformé progressivement et très inégalement des villages de pêcheurs en villes-havres commerciales. Il importe de dégager les mécanismes fondamentaux qui ont permis cette mutation en dessinant une hiérarchie des sites. L’Afrique est engagée dans des échanges tricontinentaux au sein d’une première mondialisation. Elle y tient une place spécifique dans la part de plus en plus importante prise par l’exportation de captifs serviles vers les colonies européennes des Amériques avant qu’un retournement brutal imposé par les Européens l’interdise et la remplace par un « commerce légitime » de produits agricoles demandés par la Révolution industrielle. Les échanges obéissent à l’articulation de deux demandes, africaine et extérieure, qui modèlent les offres, dans un contexte antérieur à la colonisation. Du côté africain, les mutations internes de la géopolitique y jouent un rôle majeur.
Sur le littoral africain, une stricte division internationale du travail réserve le commerce intérieur aux acteurs africains et le trafic maritime aux partenaires extérieurs, Européens ou Américains, partagés entre compagnies de commerce privilégiées ou négociants-armateurs de l’entreprise privée, avec un poids croissant de ces derniers. L’articulation littorale est placée sous le contrôle des autorités souveraines africaines, à l’exception de rares sites de type colonial, dans une exclusivité longtemps portugaise.
Le fonctionnement de l’interface terre-mer, qui transforme les villages de pêcheurs en petites places de commerce, est caractérisé par le recours au matériel et au savoir-faire africain pour passer sans dommage l’obstacle nautique d’une barre de mer. La plage d’échouage est reliée aux magasins de la ville relevant de deux grands types : les cases dans les enclos traditionnels des acteurs africains et les comptoirs fortifiés des opérateurs extérieurs, de types très divers. La construction sociale du système portuaire en émergence est doublement structurée par l’existence d’une société multiethnique et multiculturelle et un mode de fonctionnement lignager et esclavagiste pour lesquels le commerce atlantique offre autant d’opportunités à saisir que de dangers à éviter. Au sein d’une africanité prépondérante, une créolisation atlantique se fait jour, plus culturelle que biologique, surtout du côté des élites africaines et d’un groupe mulâtre en essor.
Tout le littoral africain n’est pas transformé avec la même intensité du fait d’une urbanisation commerciale car les conditions de présence des extérieurs et leurs capacités d’influence varient considérablement. Dans la structuration de la forme urbaine, les effets du commerce atlantique entrent en concurrence relative avec une polarisation politico-sociale indigène. Dans le paysage urbain, la tradition constructive africaine demeure très prépondérante et les premiers signes de créolisation ne sont guère visibles qu’à la fin du xviiie siècle. Le mode urbain d’agrégation d’enclos demeure incompris de la plupart des observateurs extérieurs qui en dénoncent le désordre et l’insalubrité au nom des codes européens de l’embellissement urbain, ce qui les empêche de comprendre son soubassement social et culturel.
Guy Saupin, professeur émérite d’histoire moderne à Nantes Université